L'appartement 22

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L’appartement 22,
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Les univers de Younès Rahmoun. Par Abdellah Karroum

mercredi 19 avril 2006

[français] [polski]

Le travail de Younès Rahmoun n’est pas une simple réaction à la mondialisation par un « nativisme » ou un repli identitaire (1). Il est l’expression d’une « présence au monde » et d’une appropriation des médiums, outils technologiques ou linguistique, accessibles dans le lieu où il se trouve, au présent. Selon les références culturelles du lecteur de ce commentaire, il peut paraître absurde de « justifier » les outils que l’artiste utilise, mais il y’a une idée qui circule dans les milieux de l’art et selon laquelle l’usage des nouvelles technologies est un acte de résistance face aux replis identitaires dans les pays de l’islam et à l’islamisme extrémiste. Les enjeux de la création sont ailleurs. Les oeuvres de Younès Rahmoun sont le prolongement de ses gestes aussi déterminés que paisibles. Fasciné par la pensée et la pratique du soufisme, Younès Rahmoun adopte la répétition, l’incantation, l’insistance, la concentration, la finition, la dé-finition, la présence et la co-présence dans sa pratique. Certains dessins relèvent de la pratique architecturale et mathématique qu’on peut facilement rapprocher des pratiques spatiales et ornementales universelles dans lesquelles ont excellé les artistes-artisans byzantins et andalous. Le travail « Tasbih » (chapelet) en 2001 marque le début d’une démarche à caractère consciemment spirituel. La variation sur les formes (Nakhla), les constructions (meules dans le Rif) et les objets (encadrements en verre et objets en papier) a permit à l’artiste de développer un sens aigu des matières sculpturales et des objets dessinés. L’objet désorienté (2) est la première exposition de Younès Rahmoun à l’extérieur du Maroc. C’est à partir de ce moment-là qu’il a commencé à construire une œuvre dans des espaces plus vastes que ceux de l’école d’art et de son atelier.

Wahid (Un), prolongement Hyper-matériel de l’Immatériel Younès Rahmoun travaille dans un contexte dans lequel la représentation du corps est conventionnellement « interdite ». L’image vidéo n’a pas la même définition d’interdit que la peinture. Ceci d’une part parce que la vidéo n’existait pas à l’époque où « les lois » ont été formulées. D’autre part, l’image vidéo ne serait qu’un témoignage, une illustration, et non une création qui concurrence la création de Dieu (la vidéo n’est pas considérée comme création par le pouvoir religieux qui s’en sert lui-même pour le prêche...). Pour réaliser la performance Wahid, l’artiste est présent physiquement et agit en temps réel dans le lieu d’exposition. Il se place au milieu de l’espace, devant le public, en direction de la Mecque (l’est). Assis en tailleur, sur un carré de tissu noir, vêtu d’une djellaba noire avec une capuche couvrant sa tête et son visage. Dans un silence parfait de la salle, il commence l’incantation du mot « Wahid » 99 fois, généralement durant 99 secondes exactement. Son expérience de l’être « ici-maintenant » ne peut pas être décrite fidèlement car sa « documentation » sera toujours celle d’une traduction. La rencontre avec l’œuvre immatérielle si elle n’est pas faite au moment de son expérience ne sera qu’un témoignage, un document hyper-matériel finement transcrit par les neutrons qui agissent pour restituer électriquement la mémoire de l’expérience. La vidéo prend le relais du geste. Son usage est ici plus symbolique que technique. La vidéo est un outil qui permet l’amplification du geste de l’artiste et la multiplication de sa présence. Le film, trace de la présence de l’artiste après la performance, est fait d’un plan fixe et cadre les mains avec les doigts qui bougent en comptant au rythme de la voix. Un effet de symétrie caractérise cette vidéo sur le visuel et sonore. Avec cette première oeuvre vidéo, l’artiste interroge la mémoire de la performance, une sorte de sculpture qui, à travers la méditation, recherche une rencontre avec le temps. L’histoire de Wahid commence à Paris, lors de son séjour en 2001. Younès Rahmoun s’intéresse aux nouvelles technologies, à la vidéo et au son… Les premières expérimentations de la performance Wahid prirent la forme d’enregistrements sonores. Si elles n’ont pas été montrées, elles sont les prémisses « techniques » de l’utilisation de l’image vidéo et de sa possible « reproductibilité ».

À l’ère du « divers », du multiple et du multiculturel, Younès Rahmoun interroge l’unique, le soi, la référence absolue. Il devient donc étrange et « original », à contretemps. « Wahid signifie Un, le seul et l’unique. Pour moi « Un » signifie aussi Allah (Dieu). Dans l’islam, Dieu a 99 noms, le chapelet musulman a 99 grains. La position que je prends dans cette performance fait plutôt référence au bouddhisme (zen). La répétition de ce mot« multi-sens » dans cette position assise devenue universelle est porteuse d’un message de paix et de tolérance. Cette performance-vidéo symbolise l’ouverture à d’autres cultures et religions du monde. » (YR) (3)

En 2005, Younès Rahmoun décide de reconstruire un espace de travail et de méditation, inspiré de celui de la « ghorfa » (petite chambre), et de le mettre à disposition du public. Avec Al-ana / Hona (Maintenant / ici) (4) il propose un ou plusieurs espaces à habiter identiques à celui de la« ghorfa » de l’artiste, situé sous les escaliers dans la maison familiale à Tétouan, pour toute personne qui veut faire l’expérience « Espace de Travail, d’Exposition et de Méditation ». Au-delà des problématiques formelles et spirituelles, l’artiste propose l’expérience de l’œuvre et invite le public dans un espace intime « recréé ». Dans cette reproduction à l’identique de son lieu de travail (la Ghorfa) nous pourrions voir ce souci de la symétrie si présente dans les arts et les sciences arabes. Younès Rahmoun revendique cette pratique jusqu’au don de son imaginaire et l’échange de son espace de travail contre un temps de rencontre avec l’autre.

A.K.

1- La démarche de la jeune génération des artistes marocain n’est pas dans une problématique de détachement post-coloniale comme c’était le chez ceux des années 1960-70 avec l’usage des signes berbères et de la calligraphie arabe.

2- Alors qu’il était encore étudiant à l’Institut des beaux-arts de Tétouan, en 1999, Younès Rahmoun fut invité à participer à l’exposition l’objet désorienté organisée par Jean-Louis Froment au musée des Arts décoratifs à Paris et à la Villa des Arts à Casablanca.

3- Propos de Younès Rahmoun recueillis par Abdellah Karroum, publié dans le livre « L’œuvre plus que jamais » (actes du colloque du même titre), éditions hors’champs, 2005, page 120. 4- Oeuvre proposée par Younès Rahmoun à L’appartement 22 (Maroc) en février 2006 et à École des Beaux-Arts d’Aix-en-Provence (France) en avril 2006, dans la cadre du projet Co-présences.